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samedi 31 décembre 2016

Cérémonie de remise des flèches d'or pour l'année 2016 !


En ma qualité de Maître de cérémonie je voulais dans un premier temps vous remercier de suivre ce blog avec autant d'assiduité ! L'année 2016 a été riche en rencontre et découverte. Ce petit blog a une voix un peu plus forte que l'année précédente grâce à vous ! Donc un grand MERCI.

Nous sommes ici présent pour distribuer des flèches d'or aux auteurs et livres qui auront émerveillé mon année littéraire. Tous les livres n'ont pas été publié en 2016 mais il n'en reste pas moins un coup de coeur pour moi.

Donc les nominés sont ......



* Prix du meilleur livre fantastique, thriller et romance (3 en 1)  de l'année :

Comme une ombre dans la ville (suivre le lien pour lire mon avis)


Ce roman m'avait complètement embarqué en début d'année. L'auteur m'avait dupé et je me souviens avoir eu du mal à m'en détaché après lecture. Ce roman a la particularité d'être composé en trois parties et chacune d'elles à un style différent. Un roman original, bien construit et vraiment plaisant ! L'auteur était déjà présent dans mon top 2015 avec son roman Seul les vautours (dont j'attends la suite avec impatience)
Vous ne l'avez encore pas lu, m'enfin qu'attendez vous ?? un deuxième avis alors je vous conseille de vous diriger vers l'ami David du blog C'est Contagieux  qui nous dit :

"Un roman atypique, tortueux, intelligent. Incontournable."
Alors convaincu ????



* Prix du livre le plus conseillé de l'année

Les larmes de Pancrace



Un auteur que j'affectionne particulièrement car je n'ai jamais été déçue ! Ce livre est mon préféré de la série (je dois avouer que je n'ai as encore eu le temps de lire le dernier). Je pense que mon entourage proche ou moins proche ont tous eu un Mallock entre les mains par mon intermédiaire ! J'ai même Mallockiser mon conjoint qui est pourtant très difficile !

Bien entendu je ne suis pas la seule à rependre la bonne parole, mon amie Nathalie du blog Sous les pavés la page en dit tout autant du bien que moi (en mieux même ) :


"Il se dégage de ce roman et de l’écriture de Mallock, une poésie presque épique"
Mallock est l'ami à avoir dans sa bibliothèque !



* Prix du meilleur livre autobiographique de l'année :

Journal d'un vampire en pyjama



Mathias Malzieu est le poète nouvelle génération ! Il vous embarque dans son imagination, son tempo, sa douceur. Un auteur qui convient pour 10 à 99 ans !

D'ailleurs mon jeune ami Guillaume, tout aussi sensible que moi à cet artiste (oui j'ai bien dit artiste puisque l'auteur est aussi musicien, chanteur et compositeur ) du blog Tribulations d'une vie en parlait en ces termes :
"Un merveilleux conte des temps modernes mené joliment par la plume enchanteresse de l'auteur qui nous ferait presque oublié la dureté du sujet avec un humour subtil. "
Malzieu c'est la touche de douceur et l'optimisme après les journées difficiles !

 * Prix de la meilleure fin d'une trilogie de l'année :

Surtensions


Le petit dernier de la trilogie Coste ! Il était attendu celui-ci ! Pour moi, c'est le meilleur de la série ! Il regroupe l’humanisme du premier tome et le rythme du second ! Sa trilogie monte crescendo, il nous épargne de moins en moins ! Il vous offre des scènes d’une horrible violence, notamment en prison.  Et j'ai adoré la construction de cette histoire alambiquée. Nous sommes nombreux à avoir aimé Coste et ses flics, Ma copine Mélie du blog The love-book en parle très bien aussi :


"Vous verrez une plume unique et qui maîtrise le rythme nécessaire à une immersion totale"
Olivier Norek fait partie des noms à retenir, des polars à avoir dans sa biblio, des auteurs à conseiller !


* Prix du meilleur premier roman de l'année :

Block 46


J'ai une nette préférence pour les thrillers ayant un caractère historique. Mais du coup je suis aussi très exigeante sur ce que je lis et j'ai tendance à vérifier ce que l'on dit dans un livre comme celui-ci ! Bien entendu, il y a des thèmes récurrents où beaucoup de choses ont déjà été dites comme la seconde guerre mondiale. C'est un sujet un peu risqué à mon avis, mais Johana Gustawsson a réussi avec brio ! D'ailleurs, la grande prêtresse Geneviève du blog Collectif polar a écrit :
"tout est parfaitement maîtrisé par notre auteur. Son écriture est éminemment soignée et s’adapte prodigieusement au différents protagonistes."
Une petite sucrerie pour se faire plaisir !

* Prix du roman conseillé par les lecteurs du blog

Le quatrième mur


Ce roman, c'est grâce à vous s'il est présent dans ma liste des coups de cœur de l'année puisque vous me l'avez conseillé . La plume de Sorj Chalandon est puissante. Et dans ce roman plus encore. C'est un cri contre les guerres, pour trouver le meilleur en chacun de nous. Un roman de 2013 mais qui garde sa force et d'autant plus maintenant. le blog de Argali vous en parle également très bien :


"Un roman complexe et puissant où se mêlent l’Histoire, la tragédie antique, de nombreux parallèles entre hier et aujourd’hui, Antigone et George… Un roman exigeant et d’une richesse insoupçonnée. Il faudrait, je pense, plusieurs lectures pour tout appréhender"

* Prix du meilleur livre "musical" de l'année :

En attendant Bojangles


Un petit roman contemporain et léger qui traite d'un sujet dur ! La folie. Non pas ce petit grain qu'il faut avoir afin de voir la vie du bon côté mais la maladie, lourde, perverse. Ce roman pouvait être aussi dans la catégorie du premier roman puisque c'est le cas. Nathalie du blog Le coin lecture de Nath a été charmé elle aussi par cette histoire :
"C'est un immense coup de coeur, une histoire magnifique traitant de la folie, de l'amour, s'aimer à la folie, l'envie de jouer le jeu jusqu'au bout, souffler le chaud et le froid.C'est frais, c'est original, poétique, rempli d'humour, une écriture juste magnifique qui ne laisse en tout cas pas indifférent. Quelle magnifique surprise."

* Prix de la plume la plus envoûtante de l'année :
Plateau


Franck Bouysse l'auteur magicien ! Une âme, une plume et des mots qui vous dessinent des décors, des histoires vivantes. Plateau a une sensibilité et une force, ses personnages sont beaux et abîmés, son histoire est belle et triste. Mon ami Bruno (appelé aussi la tite souris) du blog Passion polar nous confie :
"Assurément de la belle littérature comme on aimerait en lire plus souvent."


Et pour finir le livre de l'année pour moi !

* Prix du coup de coeur de l'année :

Ce qu'il nous faut, c'est un mort


Pour terminer, le livre qui m'a le plus touché cette année, le petit dernier d'Hervé Commère. Un roman social, un livre noir avec une intrigue qui vous tient. Un cri du coeur pour le survie d'une usine, d'emploi. Pour retrouver l'humanité d'après guerre . J'ai découvert ce roman par l'intermédiaire d'Yvan du blog Emotions :


"Crois-moi, ami lecteur, ce qu’il nous faut ce sont des livres de ce genre, des livres qui font battre le cœur et remuer les tripes, en se sentant connecté à son prochain."

Voila, prête pour entamer cette nouvelle année avec vous !



mercredi 28 décembre 2016

Suppressions des notes

Qui dit nouvelle année dit changement !

Après mure réflexion avec moi-même et un ami blogueur, il a été décidé d'enlever le système de notation suivant :



 Tout simplement car il ne correspond plus à ma façon de voir les choses ! Lorsque l'on me dit que 1/5 c'est un livre très mauvais, je ne suis pas d'accord, car cela veut dire que je n'ai pas aimé, mais aucunement qu'il est mauvais ! Il est donc préférable d'enlever ces notes qui sont finalement trop scolaires et restrictives.

Par contre l'année dernière, j'avais inclus dans mon système de classement 10 critères  :

  • Originalité
  • Facilité de lecture
  • Charge émotionnelle
  • Dépaysement
  • Addictif
  • Instructif
  • Absence de longueur
  • Humour
  • Crédibilité
  • Coup de cœur
 Ces critères restent en place !

Et puisque mes petits bonhommes sont chers à mon cœur et au style du blog, ils ont été légèrement modifiés pour être explicites !



Voilà, j'ai déjà modifié les articles comprenant les deux premiers. Au fil du temps je modifierai tout le blog afin que tous les articles soient avec les mêmes petits bonhommes (je n'ajouterai pas les 10 critères sur les années antérieures à l'année dernière) 

J'espère que cela vous convient ! N’hésitez pas à me communiquer vos impressions .

Et surtout passez une très bonne fin d'année !

lundi 26 décembre 2016

Trophée Anonym'us : Nouvelle n°16 " Javel "

Petit rappel du trophée : C'est un concours de nouvelles crée par Eric Maravelias et Anne Denost . Cette année, il y a 27 auteurs (édités ou non édités) en compétition.
Leur mission: écrire une nouvelle de 20 000 signes sur le thème du polar ou noir. 
Les membres du jury (dont je fais partie ) liront ces nouvelles à l'aveugle.

Les auteurs :


Maud Mayeras – Olivier Chapuis – Danielle Thiery – Ghislain Gilberti – Marie Delabos – Colin Niel – David Charlier – Dominique Maisons – Sandra Martineau – Marie Van Moere – François Médéline – Ellen Guillemain – Cicéron Angledroit – Valérie Allam – Stéphanie Clémente – Gaëlle Perrin-Guillet – Anouk Langaney – Patrick K. Dewdney – Florence Medina – Michel Douard – Benoit Séverac – Loser Esteban – Jeremy Bouquin – Armelle Carbonel – Jacques Saussey – Yannick Dubart – Nils Barrelon - 

Nouvelle 1 : ici     Nouvelle 7 : ici     Nouvelle 13 : ici   
Nouvelle 2 : ici     Nouvelle 8 : ici     Nouvelle 14 : ici   
Nouvelle 3 : ici     Nouvelle 9 : ici      Nouvelle 15 : ici   
Nouvelle 4 : ici     Nouvelle 10 : ici
Nouvelle 5 : ici     Nouvelle 11 : ici
Nouvelle 6 : ici     Nouvelle 12 : ici


                               Javel 

Hé, mon ami, on va continuer à chercher, dèh ! Tchoko-tchoko je vais le retrouver, ton fils.
Je n’aurais pas dû dire ça. À l’instant où j’ai vu Narcisse hocher la tête, se servir en silence un autre thé, j’ai réalisé que c’était une erreur. Pourtant, tandis que je marchais vers sa maison, passant tête baissée devant maquis bondés et enseignes de coiffure, j’avais étudié chaque mot. Pesé le pour et le contre. Entretenir l’espoir d’une issue heureuse ainsi que je le faisais depuis des semaines. Ou aider mon ami à accepter. À réaliser, doucement, que peut-être on ne retrouverait jamais Roméo. Qu’aucun des gamins ne dirait plus rien, à présent. Qu’il était trop tard.
Oui, peut-être aurais-je dû lui dire tout cela.
Mais je n’y suis pas parvenu.
Le soleil vertical écrasait nos ombres sur la terre de sa cour. Derrière lui se tenait sa femme, encadrée dans la porte, droite et muette dans son boubou. Cette vision de Narcisse ruiné par la peine, assis sur son petit banc sous le manguier, pour moi c’était trop. Insupportable. On vient du même village, on a grandi dans les mêmes rues du quartier, dansé le coupé-décalé dans les mêmes boites d’Abidjan, dragué les mêmes filles. Il a toujours tout réussi mieux que moi. Quand, le soir, j’enfilais mon uniforme d’agent de sécurité et que j’entamais ma nuit de gardiennage, je l’imaginais en train de vérifier l’état de sa fortune avant de quitter le bureau et de rejoindre sa famille nombreuse. Ou l’une de ses maitresses dans l’entrer-coucher qu’il louait secrètement à Yopougon. Oui, pour moi, Narcisse avait Dieu dans sa poche. Il ne pouvait rien lui arriver. Le voir comme ça, ça me rongeait le cœur.
Alors non, je n’ai pas réussi à lui dire autre chose.

Peut-être aurais-je dû lui rappeler de quoi on parlait. Revenir en arrière. Lui remettre en mémoire ce jour, où, lui et moi, on avait fait la connaissance des microbes. Oui, j’aurais dû commencer par là. Par cette première fois qu’il avait l’air d’avoir oubliée.
Bien sûr avant, il y avait eu les rumeurs, les premiers incidents dans les rues d’Abobo. Mais c’est un soir, au maquis, qu’on a compris de quoi il s’agissait. Un de ces soirs comme les autres, autour d’une bière et d’une table bricolée aux pieds enfoncés dans le sable. Bonne ambiance, bonne musique. On parlait des enfants de Narcisse, il vantait la réussite de Sylvia, l’index levé pour souligner ses mots : Sciences économiques ! Sourire dentifrice, fier comme un ministre. À l’époque, le petit Roméo, il l’évoquait seulement en avalant sa Castel au goulot.
Lui, je le tiens à l’œil ! Il traine trop, je ne voudrais pas il gagne affaire.
Pas plus inquiet que ça, son ventre de comptable pressant le rebord de la table. J’aimais ces moments avec lui, l’impression d’être quelqu’un d’important. Comme si sa fortune, je la partageais un peu. Les clients tout autour nous dévisageaient, sans doute qu’ils nous enviaient, nous prenaient pour des sortes de businessmans. La serveuse venait d’apporter deux nouvelles bouteilles. Elle rinçait les verres quand Narcisse lui a lancé : hé, petite sœur, tu es belle, on dirait princess…
Mais il n’a pas eu le temps de finir sa tirade. Failli tomber de sa chaise tellement il a sursauté.
À l’autre bout de la terrasse, un cri violent.
On s’est retournés d’un coup.
Là-bas, un homme se tortillait dans la terre en se tenant l’avant-bras. Autour de lui, un petit groupe lui lançait des insultes en nouchi. Échange de regards avec mon ami. Une bagarre, imaginais-je. Rien de plus. Jusqu’à ce que la serveuse mette d’autres mots sur ce qui venait de faire irruption dans le maquis. La voix terrorisée.
Les microbes ! C’est les microbes, kèh !!
Accélération, à peine le temps de réaliser. Les agresseurs, une marée de violence entre les tables, la poussière dans leur sillage. Combien ? Dix, douze peut-être. Armés de machettes qui fendaient l’air, de couteaux rafistolés. Une hache, même, trainée dans le sable et projetée en avant pour faire exploser les chaises. Des fous.
Et tellement jeunes.
Mon Dieu, ai-je réalisé. C’est des gamins !
Le plus petit de la bande, pas plus haut que sa lame de sabre, moins de dix ans à vue d’œil. Une horde de gosses déchainés, habillés de rien, jeans et shorts crasseux, terrorisant les clients et les encerclant avant même qu’on les voie arriver. Donne l’argent ! beuglaient-ils. Donne l’argent, là ! Les femmes effrayées leur jetaient billets et bijoux qu’ils fourraient dans leurs poches trouées avant de se précipiter sur la prochaine victime. Les hommes tentaient de s’interposer, mais les armes des microbes volaient plus vite que leurs coups de pieds. Le sang des plus téméraires giclait dans la terre pendant que d’autres prenaient la fuite sur les motos garées dans la rue.
Mais Narcisse, lui, cloué sur place par la rapidité de l’attaque, il n’avait pas bougé.
J’étais tout près de la sortie, j’ai vu quatre gamins fondre sur lui. Les lames brandies vers sa gorge. Donne grosse montre, là ! Sinon tu vas mourir… Même avec trois têtes de plus, Narcisse tremblait. Il m’a jeté un œil paniqué, les mains en avant comme deux boucliers dérisoires. Seigneur, mon ami d’enfance allait se faire embrocher ! Poussée d’adrénaline, regards à droite, à gauche. Faire quelque chose. Au hasard, j’ai empoigné une chaise en plastique. Et je l’ai balancée dans le dos des microbes.
Deux sont tombés à terre, leurs machettes à trois mètres.
Profitant de l’instant de stupeur, Narcisse a couru vers moi. Un gamin a jeté son couteau, entaille rouge vif au mollet.
On a détalé dans les cris des morveux.

Peut-être aurais-je dû expliquer encore une fois d’où venaient ces monstres. Comment en quelques mois ils s’étaient emparés de nos quartiers. Narcisse ne se rendait plus compte, l’inquiétude avait gommé toute lucidité en lui.
Au début, on avait assisté sans réagir à la prolifération des microbes. Les gosses faisaient irruption dans les soirées, sur les marchés. De moins en moins discrets, ils dérobaient en plein jour téléphones portables et francs CFA. Toujours plus violents, les lames rouillées jaillissaient sous les mentons, tranchaient les chairs à la moindre résistance, abandonnant blessés et traumatisés dans la poussière. D’autres groupes sont apparus, l’épidémie est sortie des limites d’Abobo pour se répandre sur tout Abidjan comme une mauvaise gangrène. À Yopougon, à Attécoubé, et même à Cocody. En plus des faits-divers, des noms ont commencé à émerger. Les noms des chefs de gangs, pour entretenir le climat de tension qui montait. Et notamment celui de Pythagore. Le plus dangereux, à ce qu’on disait. On le prétendait protégé par quelque féticheur à coup de sortilèges et sacrifices. Pythagore, un mot qui faisait frémir nos femmes rien qu’à l’entendre. Ils étaient partout et moi, je voyais mon quartier devenir un coupe-gorge, les honnêtes citoyens qui n’osaient même plus sortir de chez eux le soir.
Mon Dieu, ça me faisait mal de constater ça.
Surtout qu’on savait que ces microbes, ils ne sortaient pas de nulle part. Que c’étaient les enfants de la crise qui avait hissé Alassane Ouattara jusqu’au palais présidentiel. Quand les combats avaient explosé après les élections, quand les militants avaient pris les armes pour évincer Laurent Gbagbo, le commando invisible avait recruté à tour de bras. Expérience, âge, origine, on n’était pas regardant. Les mineurs étaient les bienvenus, on les armait sans retenue. Sauf que personne ne se demandait ce qu'il adviendrait de tous ces gosses nourris à la violence une fois Ouattara au pouvoir. Passée la crise et ses trois mille morts, il aurait fallu bien plus que le maigre programme de l’ONU pour les réinsérer dans la société.
Voilà d’où venaient les microbes.
Et à présent, tout le monde passait à la caisse, pro-Ouattara autant que pro-Gbagbo. C’était devenu un vrai business, on racontait que les microbes se faisaient jusqu’à cent mille francs CFA par nuit.

J’aurais dû dire à Narcisse que son fils, je le cherchais depuis des semaines. Que j’avais fait tout mon possible, fouillé chaque quartier. Que maintenant, il fallait peut-être arrêter. C’est terrible de dire une chose pareille à un père, mais c’est bien ce qu’il fallait faire : l’aider à se résigner. Mon Dieu, j’avais pourtant mis toute mon énergie pour trouver le gamin. C’est pour lui que j’avais intégré le comité de vigilance.
Je me souviens du soir où Narcisse m’a annoncé la nouvelle. Dans son salon, les doigts plongés dans un atiéké poulet. Sa femme si vivante réduite au silence, la gorge serrée. Les autres enfants, assis par terre, osant à peine lever les yeux de leurs assiettes. Mon ami a attendu un moment avant d’évoquer le sujet. Et d’une voix éteinte, il a dit ces mots :
C’est Roméo. Ça fait un mois il n’est pas rentré à la maison.
Ce n’était plus le même homme, un peu voûté, un peu perdu. Sa réussite, son orgueil, tout cela avait disparu dans un gouffre d’inquiétude. Parce que les anciens amis de Roméo répandaient une rumeur. À force de trainer dans les rues, il se disait qu’il avait rejoint les microbes. La bande de Pythagore. On savait que d’autres gosses avaient fait cela, attirés par l’argent facile, par la drogue. Oui, c’était possible. Cette pensée m’a traversé l’esprit comme une balle de pistolet. Je revoyais l’enfant, à deux ans, cavalant dans la cour et s’étalant par terre alors qu’on se moquait de lui. Il se relevait toujours avec le sourire, du sable partout sur le visage, et il repartait de plus belle. Il faisait rire tout le monde à l’époque. J’essayais de l’imaginer à la place de ces petites terreurs avec leurs machettes. Seigneur ! Ça me faisait tellement de peine. J’enrageais en moi-même, tout cela devait s’arrêter.
Alors j’ai promis à Narcisse et à son épouse.
Mon ami, on est ensemble. Je vais le retrouver, dèh ! Vrai-vrai je vais retrouver Roméo.
Et je me suis juré de faire ce qu’il fallait pour ça. Mon Dieu, je ne pouvais pas laisser ces terreurs continuer comme ça. Ce quartier, il était à nous, il fallait qu’on le reprenne. Pour nos femmes, pour nos enfants. Pour Roméo.
Alors je suis allé voir le comité de vigilance.
Plusieurs fois je les avais rencontrés, dans cette rue au bord de laquelle s’alignaient revendeurs de puces de téléphones et cybercafés pris d’assaut par les brouteurs. Quatre gars baraqués, patrouillant et jetant des regards sur les côtés, dans les ruelles étroites et boueuses qui se faufilaient entre les murs de parpaings. On traque ces monstres, là, qui terrorisent les honnêtes gens, disaient-ils. On est équipe de désinfection, quoi !
J’ai intégré le groupe de Moussa, ce type qui, une fois, avait fait la sécurité sur un parking avec moi. Un costaud, nerveux comme un serpent. Du soir à l’aube, on sillonnait les recoins d’Abobo. Sifflets en bouche pour se signaler auprès les habitants, armés avec ce qu’on trouvait, on passait de maison en maison pour rassurer les familles. On était populaires, les gens disaient En voilà au moins qui prennent les choses en main ! Pas comme cette police d’incapables qui ne protège que les intérêts du pouvoir ! Parfois on attrapait un microbe, on le tabassait un peu pour se défouler avant de le ficeler et de le remettre aux policiers.
Mais moi, pendant toutes ces nuits de patrouille, je n’avais qu’un visage en tête. Celui de Roméo. Certain qu’il était quelque part, dans un de ces quartiers qu’on écumait. Comme une obsession : trouver le fils de mon meilleur ami. Le tirer de cette horreur dans laquelle il s’était fourré. Je posais des questions, je donnais son nom dès que je pouvais, j’interrogeais ceux qu’on tenait. Il y en avait bien un qui allait me dire où il pouvait être.

J’aurais dû expliquer à mon ami que Pythagore, c’était notre dernier espoir. Que si le chef des microbes ne nous avait rien dit quand on a mis la main dessus, alors aucun autre ne le ferait. Oui, plus que tout c’est cela que j’aurais dû dire. Parce qu’en entendant ce nom, j’ai vraiment cru que j’étais tout prêt du but.
C’était un soir de saison sèche, l’air lourd et poisseux. Une rue pleine de poussière, chichement éclairée par deux lampadaires grésillant. C’est là que les cris ont éclaté, à deux cents mètres de nous. On s’est mis à courir vers la petite baraque, les sifflets rugissants. Sous la tôle de son toit, il y avait cette femme qui gémissait en se tenant la cheville au milieu de ses seaux en vrac. À côté d’elle, un robinet fuyait dans une ravine sale. La blessure était bénigne, heureusement.
C’est les microbes qui ont fait cela ? a demandé Moussa.
Oui. Ils… Ils étaient quatre… Seigneur, faut mettre Javel sur eux !
Elle nous a indiqué vers où ils étaient partis. Mais avant qu’on se lance à leur poursuite, elle a ajouté :
Attendez. Dans le groupe, là, il y avait… Il y avait celui qu’on appelle Pythagore !
Échanges de regards. Sourire sur le visage de Moussa.
On a détalé dans la nuit, déterminés comme jamais, suivant le halo de la lampe-torche. On a croisé un gars debout sous l’ampoule jaune de sa bicoque. Tu as vu bande de microbes ? Par là ! a-t-il répondu, le bras tendu. Plus loin on a repéré deux gosses qui se disputaient un téléphone au pied d’un bouquet de palmiers chétifs, leurs lames abandonnées au sol. On les a agrippés avant qu’ils s’enfuient. Je me souviens de leur visage, les yeux injectés de sang. Drogués, ça se voyait.
C’est toi, Pythagore ? ai-je lancé.
Sourires en coin. Moussa a asséné une baffe. Tu sais, on va vous chicoter, ô !
Le plus petit a râlé en nouchi : Hé, l’est pas là, Pythagore !
C’est où qu’on le trouve ?
Ils ont hésité, peut-être la peur. Puis le petit a dit :
Dans… Dans Le Trou, dèh !
Une sorte de cratère coincé entre deux lotissements, un gouffre effondré sur une de ces terres impropres à la construction. Des falaises ocre et boueuses tout autour.
C’est ça qu’ils appelaient Le Trou.
On est arrivés par le haut, Moussa a éclairé le fond à la torche. Un endroit sinistre. Des monceaux de poubelles jetées dans le ravin par les habitants du coin. De la verdure aussi, des arbres tordus qui se frayaient un chemin entre les immondices. Des morceaux de bâche en lambeaux. Jamais les policiers ne se risquaient là-dedans. Trop sale, trop dangereux. On s’est regardés avant de se lancer. Puis on a contourné la fosse, sifflets muets, le long des talus en équilibre. Un sentier glissant s’enfonçait vers le fond, aménagé par les gosses à même la falaise. On le tient, grognait Moussa dans la descente, avec seulement le chant des grenouilles et des insectes autour de nous. Arrivés en bas, on a avancé au hasard, les pieds pris dans un mélange de boue et de déchets.
Et dans le halo de la torche, on a repéré l’abri. Juste devant.
Une bâche noire tendue de travers entre des piquets de bois. Des tissus sales qui pendaient de partout. On a marché encore, les pas mal assurés, la respiration lourde. Mon cœur, trop rapide. Mais pas de peur. L’excitation. Moussa a tiré la bâche d’un seul geste. Et révélé la silhouette assise sur les planches. Immobile, éblouie par la torche.
Pythagore… ai-je murmuré.
Le microbe ne disait rien, les yeux explosés, le regard vide. Il réagissait à peine à la lumière. Sûrement drogué par toutes sortes de substances. En le voyant comme ça, j’ai deviné qu’il n’était pas en état de parler. Que je n’obtiendrais rien de lui à propos du fils de mon ami. Pas à ce moment-là, en tout cas.
Moussa l’a toisé, de la rage partout sur son visage noyé dans la nuit.
Maintenant, tu vas payer…
Il allait le frapper avec le couteau qu’il avait pris en main. Mais j’ai arrêté son geste.
Attends. On va le remonter, ou bien ?
Je ne voulais pas qu’il le blesse. Pas encore.
On s’est regardés, hésitants. Et finalement on a attrapé Pythagore par le bras pour le ramener là-haut. Sur la terre ferme. Trainé dans la pente alors que ses tongs glissaient dans la boue.
C’est là que j’ai vu ce qui l’attendait.
Juchées au sommet des murs ocre, des formes humaines se détachaient dans le noir. Dix-quinze personnes. Des adultes. Des curieux attirés par notre expédition. Oui, c’étaient les habitants du quartier. Ils nous observaient monter vers eux, espérant apercevoir la face de celui qui terrorisait leurs familles. Et plus on avançait, plus leurs paroles nous parvenaient. Ils se chauffaient les uns les autres, Pythagore, Pythagore, le nom du chef de gang était dans toutes les bouches. Je suis arrivé au sommet en dernier. Et j’ai découvert tous ces types prêts à en découdre, avec leurs armes de fortune entre les mains. La lumière jaune d’un lampadaire éclairait timidement ce petit monde sur le point d’exploser.
Alors j’ai réalisé ce qui allait se passer.
Et que je ne pouvais rien contre ça.

J’aurais dû mettre un terme aux espoirs de mon ami. Lui dire que Pythagore n’avait pas eu le temps de parler avant de se faire lyncher. Que la trace de Roméo avait sans doute disparu avec lui.
Toute la nuit le cadavre du chef a circulé dans les rues du quartier, son corps mutilé brandi comme un trophée sous les cris de joie. À présent il y avait des vidéos qui tournaient sur YouTube, des photos sur Facebook qui seraient bientôt censurées. Tout cela, Narcisse l’avait vu, comme ces gens qui fêtaient la mort du démon. Mais tout de même, il avait espéré que je revienne de mon expédition avec une piste. Au moins une information, un petit quelque chose qui allait lui permettre de revoir son fils. Je le jure devant Dieu, j’aurais donné n’importe quoi pour ça. Pour pouvoir lui annoncer qu’on avait retrouvé Roméo.
Mais ce n’était pas le cas.
Je ne lui ai pas raconté comment ça s’est passé. Je n’ai pas parlé de ces images qui me hantent encore aujourd’hui. La première pierre balancée par une femme, déchirant un bout de peau sur l’épaule noire. La machette de Moussa plantée dans le dos nu. Le mutisme effrayant du gamin, à terre, n’essayant même pas de se défendre. Le coup de couteau dans la cuisse. Puis le déluge de violence qui s’était abattu sur ce corps livré à la meute. Les cris, les insultes, les crachats, les coups de pieds, les coups de poing.
Non, tout ça, je ne l’ai pas décrit à Narcisse.
Je n’ai pas raconté non plus ce que moi, j’ai fait, après la lapidation, alors que le cadavre était vautré dans la terre au pied de tous ces citoyens repus. Le marteau dans ma main, les doigts serrés autour du manche. Comment j’ai frappé. Dieu me pardonne, mais oui, j’ai frappé ! Une fois, deux fois, trois fois, comme un fou j’ai frappé cette tête. Écrasé le nez, défoncé les yeux alors que les miens s’étaient remplis de larmes.
Pour faire disparaître au plus vite ce visage. Ne laisser aucune trace.
Non, bien sûr, je n’ai pas dit ce que j’ai fait quand j’ai reconnu Roméo. Quand, dans la lumière du lampadaire, j’ai réalisé qu’on s’était trompés, que celui qu’une foule entière venait d’exécuter n’était pas ce fou qui se faisait appeler Pythagore.
À Narcisse, alors qu’il me servait du thé sous le manguier dressé dans sa cour, alors que son épouse effondrée me regardait comme l’ami de toujours, j’ai dit à la manière d’un lâche :

On va continuer à chercher, dèh ! Tchoko-tchoko je vais le retrouver, ton fils.




vendredi 23 décembre 2016

Nicolas Duplessier répond à vos questions



Hier, Nicolas Duplessier répondait à mes questions(que vous pouvez retrouver ici)  aujourd'hui il n'est là que pour vous ! Je remercie ceux qui ont eu le courage de poser quelques questions à l'auteur.

Céline : qu'est-ce qui vous a donné envie de prendre la plume ?

Mon premier rêve (fantasme) était (est) le cinéma, mais cela coute moins cher d’écrire un livre que de réaliser un film.  

Dav : quels sont tes arguments pour me donner envie de te lire ?

Je suis mauvais commercial, mais j’ai un conseiller en communication qui sait convaincre :


Mélie :  J'ai vu qu'il s'agissait d'un roman noir (j'adore ça) et j'ai l'impression qu'il y a une vraie émergence de ce genre dernièrement, pourquoi ce choix ? Est-ce volontaire ou s'est-il imposé à vous?

J’aime le Roman noir car c’est pour moi la  forme littéraire et romanesque la plus aboutie. Le roman noir est outil formidable pour explorer l'éventail des émotions humaines.   Mon univers est noir, pluvieux,  avec des hommes de pouvoir, des manipulations, des prostituées, du  sexe cru et des drogues en tous genres.
Et je ne peux imaginer ça ailleurs que dans un roman noir !

Toutefois, même si j’aime le roman noir pour son ambiance j’aime aussi les bonnes intrigues avec des « cliffhanger » (rien à voir avec le film de Stallone) et des « twist ending » (rien à avoir avec les twists de Danse avec les stars)

Quels sont vos réalisateurs favoris ?
Mon univers  est imprégné du cinéma que j’aime. Mes réalisateurs favoris sont, Paul Thomas Anderson et  Guillaume Nicloux. Mais aussi  Nicolas Boukhrief, Eric Valette ou encore Julien Leclercq.

Avez-vous lu les autres livres de la tétralogie de James Ellroy (Le Quatuor de Los Angeles) ? Et avez-vous vu l'adaptation de L.A. Confidential de Curtis Hanson et qu'en avez-vous pensé ?


Je suis complément gaga d’Ellroy, avec lui, tout est en démesure malgré ce style dépouillé et acide.

J’ai bien sûr vu L.A. Confidential, plusieurs fois même. La reconstitution de l'époque est sublime, la mise en scène remarquable et il faut saluer le travail d’adaptation. J’avais vu le film avant d’avoir lu le livre, puis j’ai lu le livre et revu le film ( ok, tout le monde suit ?) et, cinéma obligé, on perd la complexité de l’intrigue et certains personnages perdent en profondeur, bien que l'écriture autour des personnages est plus que bien rendue. Le réalisateur a réussi à garder l’essence même du roman. C’est captivant, c’est riche et gros coup de cœur pour Kim Basinger.

Samantha : Ah bon y'a une plage à Melun ?


Aujourd’hui il ne reste plus qu’un club de Nuit qui porte ce nom,  mais durant un siècle, jusque dans les années 60, une plage était aménagée sur les bords de Seine.  À cette époque, du sable fin est amené chaque année sur la rive. Même si la baignade dans le fleuve est interdite depuis les années 20, les gens s’y baignaient. Le titre de mon livre fait référence à «  tu fais quoi cet été ? Je vais à Melun plage ! » ,genre je bouge pas de mon patelin.

Orlane : Et sinon il peut montrer ses tatouages :P Si si c'est une question ;) et Je ne l'ai pas encore lu ( oups excuse moi Nicolas ) mais j'espère qu'il y a un gars tatoué dedans

J’te jure… Mort de rire ! Comme je suis un auteur sympa, voici quelques photos.









Anonyme : Avez-vous été influencé par un auteur, si oui lequel ?

D’abord lecteur avant de devenir  auteur, j'ai une grande passion pour Harry Crews, Ellroy,Ken brunen,Lawrence Block,Robin Cook, Paul Colize mais aussi Bret Easton Ellis, Houellebecq, Moix, Beigbeder.

Un grand merci à Nicolas et à vous ! J'ai trouvé cela très enrichissant de vous laissez la parole sur le blog, une expérience que je renouvellerai avec plaisir :) 



jeudi 22 décembre 2016

Tête à tête avec Nicolas Duplessier



Il y a quelques semaines je vous parlais du roman de Nicolas Duplessier "Eté pourri à Melun-Plage". Un premier roman plutôt réussi qui m'a donné envie de faire connaissance avec l'auteur. Quelle chance pour moi, car il est tout à fait accessible et très sympathique.

Quel lecteur "jeunesse" étiez-vous ?


Je n’ai jamais lu quand j’étais gamin ou ado ou alors il fallait me forcer, m’attacher au bouquin. J’étais très mauvais élève, un peu dans la lune et carrément pas assidu en cours. Je garde tout de même un bon souvenir du livre « Mon bel oranger » de José Mauro de Vasconcelos. Je devais avoir 13 ou 14 ans et c’est le premier livre à m’avoir réellement marqué à cette époque. Je me suis vraiment intéressé à la lecture en 2001, à 23 ans. C’est très précis car cela correspond à la sortie ciné du film Le Seigneur des Anneaux et, après avoir vu le film, je ne pouvais attendre la suite et j’ai attaqué le bouquin de Tolkien. Il y a plus simple pour commencer la lecture mais j’ai adoré et, depuis, j’ai énormément lu.


A cinq ans, Zézé a tout appris seul : la lecture, les grossièretés de la rue, les trafics de billes, les tangos pleins de sentiments du marchand de chansons. Tout le monde le bat, sauf sa sœur Gloria. Ange ou diable, il a un secret dans le cœur : un petit pied d'oranges douces, le seul confident de ses rêves, qui l'écoute et lui répond.







Pouvez-vous nous parler du livre qui vous a le plus marqué ?

«La route » de Cormac Mccarthy. Je l’ai lu peu de temps après la naissance de mon fils. J’ai adoré le style épuré de Mccarthy avec ses dialogues courts mais intenses. 10 ans après je me souviens avoir ressenti la peur, le désespoir et l’amour de ce père qui garde deux balles dans son révolver pour pouvoir mourir avec son fils. Cette relation père-fils est tellement forte que j’ai passé mon temps à chialer. Oui, je suis très fleur bleu et j’ai la larme facile.


Dans le monde dévasté de l’apocalypse, un jeune homme et son père errent sur une route, affrontant le froid, la pluie, la neige, fuyant toute présence humaine. En un voyage crépusculaire, poussant leur chariot rempli d’objets hétéroclites, ils marchent vers la mer. Prix Pulitzer 2007.Né en 1933 dans l’État de Rhode Island, Cormac McCarthy est l’auteur de nombreux romans dont Le Gardien du verger (prix Faulkner 1965) et De si jolis chevaux (National Book Award 1994), No Country for old men, Méridien de sang. Il est l’un des écrivains américains les plus importants de sa génération. Tous ses livres sont disponibles en Points.



Il vous a fallu combien de temps pour écrire ce roman ?

Beaucoup trop ! Je me souviens avoir lu le livre « Ne le dit à personne » d’Harlan Coben et m’être dit que cela n’était pas compliqué d’écrire un livre. 10 ans plus tard mon premier roman sort… ça donne une idée du chemin.


Dans quelles conditions écrivez-vous ?

Tout nu. (tu prends des risques !! )
J’écris toujours en musique pour m’isoler complètement.
Pour le tout nu ce n’est pas vrai bien sûr, il m’arrive de porter un caleçon.

Dans votre roman, on retrouve Melun, une ville sombre, qui ne laisse aucune perspective à ses habitants, qui végète. Vous avez des comptes à régler avec cette ville ?


Aucun compte à régler. Je suis attaché à mes racines Melunaises et cette idée de créer un roman noir dans un lieu que je connais m’a tout de suite apparu excitante et motivante. Surtout, j’avais envie d’écrire un roman dans la tradition du polar. Dans les romans noirs de Lawrence Block, Ken Bruen , Ellroy, le décor fait partie de l’intrigue. Les barres d’HLM, une ville grise, dortoir, des entrepôts abandonnés, des quartiers dégradés et la proximité avec la forêt de fontainebleau. Un décor idéal pour un roman noir. Mon roman est influencé par la trilogie policière de Guillaume Nicloux (série de films que je conseille à tout le monde) où l’on trouve ce décor de banlieue, la forêt de fontainebleau, la pluie…

C'est votre premier roman, comment vit-on la publication et les premiers retours de lectures ?

J’ai vécu le démarrage avec beaucoup de stress. Il est sorti il y a maintenant 3 mois et cela va beaucoup mieux. Je viens tout juste d’arrêter le Xanax.

 
Quel est le rôle d'un auteur pour vous ?


Il y a une dizaine d’années, j’avais dit à Maxime Gillio et Paul Colize que je voulais juste devenir auteur pour me la péter et draguer les nanas à la sortie de la Sorbonne. Devenir auteur m’apparaissait comme un bon plan drague. Alors me demander le rôle d’un auteur…. Je ne suis pas un militant, mais j’aime le roman noir et cette littérature « de perdant », cette entrée dans l’intimité, dans le réalisme avec la prise de conscience d’une violence dans les rapports sociaux, dans notre société qui n’honore que les vainqueurs, les mecs qui ont réussi.

Je vous offre la possibilité de rencontrer l'auteur (encore vivant ou non) de votre choix, lequel choisissez-vous?


Stephen King. J’adore ce type depuis presque 20 ans.
Vous n’avez qu’à regarder un extrait de ma bibliothèque (ah oui ça déconne pas !)


Plus proche d’ici j’aimerais bien rencontrer Lawrence Block, il reste l’une de mes premières influences, avec le cinéaste Guillaume Nicloux.

Si je devais réaliser un rêve, ce serait du côté du cinéma que j’irais le chercher. Ça peut paraitre complètement débile mais je rêve de discuter avec Jean-Claude Van Damme. Je suis de la génération Vidéo Futur. Chaque week-end je me gavais de VHS et voulais, de façon naïve, travailler dans le cinéma. Dans les années 90, la réussite de Van Damme m’inspirait.

Si vous pouviez ôter un défaut à l’humanité..

Oh la vache, cette question ! (c'est une très bonne question dites-donc!) J’ai lu un jour une citation de Lichtenberg qui ne date pas d’hier « La maladie est le plus grand défaut de l'humanité. »
Je suis assez d’accord avec ça.

Quel personnage de fiction aimeriez-vous être ?

Matt Scudder le détective privé de Block, ou Sawyer le blond aux cheveux mi-long de la Série Lost

Ah oui il est pas mal lui 😉


La musique ou chanson qui vous donne des frissons?

Il y en a trop ! Je bosse dans un open Space et je prends régulièrement le train alors la musique permet de m’isoler de l’extérieur. Sans exagérer, j’écoute de la musique 8 heures par jour. Mais il y des chansons qui me dressent les poils à tous les coups comme The Surface Of The Sun de John Murphy, Farewell, goodbye de M83 ou encore Almost Martyrs de Jake et Alex Parker, que l’on entend dans le film La vide de David Gale.
Ou alors November Rain des Guns N' Roses, je suis fans depuis mes 14 ans et fidèle depuis.



Avez-vous un projet en cours que vous aimeriez partager avec nous ?

Je bosse sur deux projets de bouquins. Un nouveau polar et un roman court pour adolescent.
Mon objectif reste tout de même de réaliser un court métrage.

Nous voilà arrivés à la fin de mon "tête à tête" mais nous n'avons pas terminé avec nos questions puisque demain vous répondrez à celles des lecteurs du blog. Un grand merci pour vos réponses, je vous laisse le mot de la fin.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter, juste que je te remercie de m’avoir invité sur ton blog.
Je tiens aussi à saluer l’excellent travail que toi, et les blogueurs, réalisez en publiant toutes ces chroniques et en soutenant tellement d’auteurs. Chapeau !

lundi 19 décembre 2016

Résultat du concours "le noël des blogueurs 2016"


Voila le moment tant attendu pour certains d'entre vous ... Merci à tous, nous n'en revenons toujours pas de ce fort taux de participation ! Ce concours est un véritable plaisir pour nous, mais il ne serait rien sans vous ! Nous souhaitons aussi remercier tous les auteurs qui ont relayé le concours sans oublier notre auteur sans qui ce concours n'aurait pas été aussi ardu 😉 Monsieur Olivier Norek ..Nous avons reçu beaucoup de commentaires des plus sympathiques, enthousiastes et motivant pour entamer cette nouvelle année qui arrive.

Passons d'abord à la réponse de l'énigme avant le tirage au sort. Pour cela nous vous remettons le texte !

Opération Carnaval.

Le couple avait laissé derrière lui quelques vitrines brisées, des bijoutiers éplorés et des flics sur les dents. Suivant un mode opératoire précis, ces braqueurs amoureux se déguisaient différemment à chaque fois et lorsqu’il fallut créer une cellule police spécialisée, le nom d’ « Opération Carnaval » sembla évident. Autant dire que toute la PJ parisienne était à leurs trousses et plus le montant de leurs forfaits grimpait, plus la crainte de les voir disparaître à jamais augmentait.
Inquiétude confirmée lorsqu’après cinq joailleries visitées, à raison d’une par semaine, ils ne firent plus parler d’eux pendant un mois entier.
Puis ce fut le coup de chance, comme on l’espère dans chaque enquête. Une femme de ménage d’un grand hôtel retrouva, coincé entre deux plinthes de parquet d’une chambre désormais vide, un diamant qu’elle crut être un faux. Nos policiers débarquèrent, confirmèrent l’authenticité du bijou, son origine crapuleuse et jetèrent la femme de ménage dans une profonde dépression lorsqu’ils en évaluèrent le prix. Les vidéosurveillances furent réquisitionnées et nos flics firent la connaissance du couple de braqueurs, sur un vieux moniteur télé en noir et blanc à l’image saccadée et légèrement parasitée. Une fois la chambre perquisitionnée de fond en comble, le gérant des lieux informa l’équipe de la PJ que le wi-fi de l’hôtel avait été utilisé pour un achat de deux billets d’avion.
Il était temps pour le capitaine en charge de l’opération de relire ses notes et de lancer l’opération :
Trois équipes d’intervention étaient parties à Roissy, images de vidéosurveillance en main pour retrouver les malfrats. La tenue vestimentaire de nos ennemis n°1 confirmait un voyage vers l’hémisphère sud. L’homme, de type méditerranéen, portait les cheveux gominés plaqués en arrière et affichait un sourire carnassier en tout temps. La femme ne cherchait visiblement pas la discrétion tant sa vulgarité attirait l’œil. Maquillée comme une voiture volée, look de cagole premier choix.
Dans la poubelle de la chambre, une lingette de 3cm carré, imprégnée d’éthanol et d’éther fut retrouvée, ainsi qu’une plaquette de médicaments sur laquelle on pouvait lire Procuta 40mg.
Dans un coin du bac de douche, les effectifs de l’identité judiciaire prélevèrent, sur une touffe de cheveux bruns oubliés, un liquide dont la composition chimique avait été analysée. Une composition qui permettait de passer d’un RGB 91 60 17 à un RGB 255 228 54.
Sur la table de chevet, un calendrier 2016/2017. La 12ème semaine était entourée de rouge, ainsi que la 48ème. Certains jours étaient aussi soulignés : le 12 mai, le 10 février, le 13 novembre, le 12 décembre, le 4 novembre, le 4 juillet et le 29 septembre.
Vous voici donc maintenant à Roissy, à la tête de l’ « Opération Carnaval », dans un océan de touristes, à la recherche de nos criminels. Vos policiers ont déjà bien travaillé et sélectionné pour vous quatre couples dont l’apparence physique pourrait correspondre au couple recherché.

Donc cela nous donne un homme brun, cheveux gominés (bon on fait comme on a pu 😋 ) en tenue d'été avec de l’acné (le procura) et une femme enceinte (le calendrier et les dates pour des prénoms de garçons), maquillée de façon vulgaire avec des lunettes en tenue d'été.
Il ne vous reste que deux possibilités :
Céline Evitable et David Cicode !

Place aux vainqueurs !















N'oubliez pas de nous faire parvenir vos coordonnées via le mail : noeldesblogueurs@yahoo.com 
Bravo à tous . 

Et surtout de TRÈS BONNES  FÊTES DE FIN D'ANNÉE A TOUS !

samedi 17 décembre 2016

Trophée Anonym'us : Nouvelle n°15 " Parkinson of a bitch "

Petit rappel du trophée : C'est un concours de nouvelles crée par Eric Maravelias et Anne Denost . Cette année, il y a 27 auteurs (édités ou non édités) en compétition.
Leur mission: écrire une nouvelle de 20 000 signes sur le thème du polar ou noir. 
Les membres du jury (dont je fais partie ) liront ces nouvelles à l'aveugle.

Les auteurs :


Maud Mayeras – Olivier Chapuis – Danielle Thiery – Ghislain Gilberti – Marie Delabos – Colin Niel – David Charlier – Dominique Maisons – Sandra Martineau – Marie Van Moere – François Médéline – Ellen Guillemain – Cicéron Angledroit – Valérie Allam – Stéphanie Clémente – Gaëlle Perrin-Guillet – Anouk Langaney – Patrick K. Dewdney – Florence Medina – Michel Douard – Benoit Séverac – Loser Esteban – Jeremy Bouquin – Armelle Carbonel – Jacques Saussey – Yannick Dubart – Nils Barrelon - 

Nouvelle 1 : ici     Nouvelle 7 : ici     Nouvelle 13 : ici   
Nouvelle 2 : ici     Nouvelle 8 : ici     Nouvelle 14 : ici   
Nouvelle 3 : ici     Nouvelle 9 : ici
Nouvelle 4 : ici     Nouvelle 10 : ici
Nouvelle 5 : ici     Nouvelle 11 : ici
Nouvelle 6 : ici     Nouvelle 12 : ici


                                                                Parkinson of a bitch


La sonnerie de mon portable me colle un coup de taser.
Ce n’est pas la première fois que je prends une telle châtaigne en plein sommeil, mais je ne m’y habitue pas. D’autant que cette nuit, je suis pris par surprise. J’étais sûr d’être tranquille en agrippant mon oreiller sur le coup de minuit. Les infirmières m’avaient affirmé que cette vieille bourrique serait dorénavant privée de téléphone à partir de dix-neuf heures. Pourtant le numéro appelant ne laisse planer aucun doute. C’est celui de l’EHPAD, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un rectangle de béton blanc puant sur lequel je rêve que s’abatte la foudre nucléaire.
Nathalie s’enroule dans la couette en grognant.
Je me lève en titubant pour m’enfermer dans la cuisine, dos appuyé au frigo.
— Maman ? Quoi encore ?
— Nicolas, viens me chercher. Salaud, viens me chercher. Il faut que tu viennes vite… il se passe des choses ici, des messes juives, des orgies inimaginables. Ces salopes d’infirmières veulent que je crève, tu sais, parce que j’ai vu leur manège, j’ai déjoué leur complot. Elles ont enlevé ton frère. Ce sont des chiennes du Diable, viens me chercher, vite, maintenant… Viens, salaud !
Le chuchotement hystérique de ma mère dans le combiné, sur le mode « L’Exorciste », me glace le sang. Ça non plus, je ne parviens pas à m’y habituer. J’en ris parfois le jour venu, mais sur le moment, le moindre de mes poils se dresse à la verticale. Et je défie le plus indifférent des fils de ne pas céder à l’horreur quand celle qui lui préparait son goûter se transforme en créature grossière et hostile.
— Maman, comment fais-tu pour appeler ? Tu n’es pas censée avoir le téléphone dans ta chambre…
— Ha c’est toi qui m’as fait retirer le téléphone, hein ? C’est toi, vicieux ! Je suis dans la chambre de la voisine, je t’ai bien baisé, comme ces putes d’infirmières…
Elle hurle à présent, d’une voix puissante et nasale, à un niveau de décibels suffisant pour réveiller tous les pensionnaires de l’établissement hospitalier.
— Fumier ! Sale petit fumier ! Moi, ma mère m’aurait porté sur son dos pour me sortir d’ici…
— Mais je ne suis pas ta mère ! Je suis ton fils ! Calme-toi, maman, je t’en supplie. Je viendrai te voir demain et on parlera de tout ça…
— Tu n’es plus mon fils, Nicolas, chiffe molle, petit pédé !
J’entends alors d’autres éclats de voix féminins à l’autre bout du fil. Les infirmières de nuit ont localisé la source de nuisance nocturne. Ma mère en furie. Et l’on s’arrache maintenant l’appareil. Chocs et crachotements, et enfin on raccroche.
Je me dis que Madame Baillet la reine mère, malgré ses rêves de liberté, est bonne pour être sanglée sur son lit jusqu’à l’aube.
Je me dis aussi que mon frère cadet a bien de la chance de vivre en Espagne, loin des contraintes et des insultes.

***

J’essaie d’écrire cette nouvelle depuis presque quinze jours. Le fait qu’il s’agisse d’un concours organisé par le quotidien régional auquel je collabore ponctuellement me fait perdre mes moyens. J’ai changé trois fois de sujet. Une demi-page sur le meurtre d’un cosmonaute solitaire dans sa capsule spatiale, deux pages sur un serial killer trisomique, et ce matin, une ligne sans la moindre idée de départ.
Je referme le capot de mon MacBook un peu trop fort. Derrière moi, Nathalie passe dans le salon, libellule pimpante, tailleur gris, cigarette électronique rechargée, prête à se donner corps et âme à la journée de travail qui s’annonce. Heureusement, car s’il fallait compter sur les revenus de mes piges et de mes romans de gare…
Elle pose une bise légère sur ma joue.
— Je l’ai ton scénario : un fils excédé étouffe sa vieille saloperie de mère parkinsonienne avec un oreiller.
Et sans attendre de réponse, elle s’envole vers ses objectifs 2016 et ses tableaux excel. Peut-être parce qu’elle est en retard. Peut-être parce qu’elle est lassée de mes arguments habituels. Ma mère n’a pas toujours été ainsi, n’est-ce pas ? C’est le parkinson qui lui grignote inexorablement les neurones, tord son corps et son esprit. Après la mort de mon père, l’an dernier, nous avons vécu une embellie, non ? On pouvait croire qu’elle ferait une veuve joyeuse. Seulement, Madame Baillet la reine mère, souffrant aussi d’ostéoporose, n’a pas trouvé mieux qu’une fracture spontanée du bassin pour noircir le tableau. Mal soignée par son généraliste, qui aurait dû s’orienter vers le métier de vétérinaire, elle s’est empiffrée de morphine, gobant les gélules de Skenan et d’Acti Skenan comme des M & M’s.
Résultat : Objectif Lune.
Le LSD que je me suis envoyé dans ma jeunesse ne m’a jamais perché aussi haut. Hospitalisée en état de transe, puis transférée en EHPAD toujours sujette à des accès de démence hallucinée – elle affirme notamment que mon frère en culotte courte la visite fréquemment – elle s’attache à battre le record de la patiente la plus ingérable et de la mère la plus tyrannique. La jeune toubib du service échoue depuis quatre mois à la faire redescendre. Et moi je monte en pression un peu plus chaque jour.
Son sac de linge propre dans une main et une boîte de chocolats pour les infirmières dans l’autre, je me considère dans la glace de l’ascenseur de l’hôpital. Mes cheveux ont encore blanchi, il me semble. Je soulève mes lunettes pour tâter sous mes yeux les valises grises veinées de violet qui me donnent l’air d’un pochetron. Les portes s’ouvrent. L’enfer n’est pas sous nos pieds. Il se situe bel et bien au troisième étage de cet immeuble. Je le jure.
Illico, la bouffée fadasse me saute aux narines, mix de merde et de légumes bouillis. Personne dans la salle de repos du personnel. Je dépose les chocolats et enfile avec la nausée le long couloir linoléum. De part et d’autre, toutes les portes des chambres sont ouvertes. Des vieillards assis ou étendus, silencieux ou gémissants, creusent tous le trou de la sécu au rythme de la télé et des appareils respiratoires. Avant d’être ainsi maintenus en vie contre la volonté de Dieu, ils ont profité au minimum de vingt-cinq années de retraite, leurs vieux culs dans des bus touristiques ou des camping-cars, leurs vieux os au soleil de Marbella ou d’Agadir, pompant sans vergogne nos cotisations sociales ; et ils continuent ici, dans un baroud grabataire. Qui est le héros qui débranchera tout, déclenchera un concert de bip dans ce couloir ? Qui aura le courage de sauver ce pays ? Est-ce que je deviens fou à haïr ainsi toute une génération alors qu’une seule personne âgée est la cause de mes malheurs ?
Elle est au fauteuil ce matin, penchée sur un livre, les cheveux coiffés, dans sa robe de chambre saumon. Elle grimace un sourire en me voyant entrer.
— Range le linge dans le placard. La deuxième étagère.
— Bonjour.
— Tu portes encore des chaussures de sport à ton âge ?
Je remarque les sangles qui pendent sur les côtés de son lit médicalisé. Je ne me suis pas trompé. Ils l’ont saucissonnée pour avoir la paix.
Je déplace son déambulateur à roulettes et viens m’asseoir sur une chaise à ses côtés. Dehors, le soleil embrase les cèdres. Je voudrais être loin.
Je retourne le livre posé sur ses genoux.
— Tu relis Céline ?
— Je n’y arrive pas, qu’est-ce que tu crois ? J’ai les yeux qui coulent. Et puis mon bassin tourne.
— Ton bassin tourne ?
— Oui, il flotte et je me retrouve de travers, tu vois bien. Ces médecins sont incompétents. Ce sont des gamins. Je vais encore plus mal que quand je suis entrée.
— Il faut le temps d’éliminer totalement la morphine de ton organisme. Il faut aussi rééquilibrer ton traitement contre le parkinson. Il te manque le Siphrol pour te sentir mieux. Ils l’ont supprimé pour éviter les hallucinations… mais ils vont augmenter les doses petit à petit...
— Cette médecin me garde pour gagner encore plus de fric, voilà la vérité.
— Mais bien sûr que non. Tu sortiras si tu es raisonnable. Tu as encore fait des tiennes hier soir…
Comme à chaque fois qu’elle est contrariée, sa lèvre supérieure se retrousse, découvrant en un rictus figé ses dents grises, branlantes et gâtées. Son regard est celui d’une autruche.
— Je ne me souviens pas ! Et tu n’as pas de reproches à me faire ! Si ton frère n’habitait pas si loin, il me prendrait chez lui.
— Il faudrait que Franck ait un chez lui…
Elle a un gloussement cruel.
— Tu as toujours été jaloux de ton frère, hein ? Tu es jaloux de ses talents d’artiste, de musicien, toi qui n’es qu’un scribouillard. Ça ne te suffit pas de lui avoir volé sa fiancée ?
Ma poitrine se givre. Mes tempes se serrent. Je devrais laisser couler, mettre sa méchante mauvaise foi sur le compte de la maladie, mais elle a le don de me transformer en petit garçon blessé par l’injustice. Je m’étrangle d’indignation.
— Nathalie l’a quitté, maman. Parce qu’il se défonçait, qu’il la trompait, et qu’il l’a même battue. Et aujourd’hui, il n’y a que moi pour m’occuper de toi. Tu ne peux pas dire le contraire…
— Menteur ! Voleur ! Tu n’as aucune affection pour moi. Tu ne fais qu’attendre ton héritage. Tu attendras longtemps, crois-moi !
J’hésite à fuir, mais son coup de colère l’a épuisée. Elle se tortille lentement à présent, passe ses mains sur son visage. Je connais cette molle agitation annonciatrice de crise tétanique et de gémissements désespérés.
— Ce fauteuil est trop dur. Matériel de torture, de torture… Mets-moi au lit. Tu ne vois pas que je souffre…
Je la prends sous les aisselles, même si je la sais capable de se lever seule, et la porte jusque sur son lit. Elle est légère et sèche comme un fagot de sarments.
— Mon oreiller, remonte mon oreiller.
Je réalise alors que l’idée de nouvelle que m’a donnée Nathalie est excellente, et que je vais la coucher sur le papier dès aujourd’hui.


***

— Allo Franck ?
— Hola, espera…
Mon frère m’a donné son numéro de fixe, mais c’est évidemment celui d’une gonzesse. Franck n’a pas de portable, n’a pas de voiture, n’a pas d’appartement, et pas davantage d’horaires.
— Ouais, tu m’réveilles.
— Il est dix-huit heures, Franck.
— Ouais, ouais.
Mon frère n’a pas non plus de vocabulaire. Il vit au jour le jour, en fournissant un minimum d’effort, même pour parler. Je l’entends se moucher. La coke de Barcelone. Et puis allumer une clope, tousser, s’éveiller à la vie, en fait.
— Maman, ça s’arrange pas, tu sais.
— Ha.
— Elle colle un merdier pas possible. Le toubib m’a alpagué ce matin pour me dire que son cas ne relevait pas d’un service de convalescence pour personnes âgées. Ils envisagent de la transférer en gériatrie, au CHU, autrement dit chez les vieux dingues qui se chient dessus…
Il pouffe. Je le soupçonne d’avoir allumé un joint plutôt qu’une cigarette. Autant parler à un répondeur. Mon frère se moque des souffrances de ma mère et ne partage en rien mes préoccupations. Prétextant des engagements artistiques — tournées des terrasses de cafés et non pas des Zénith — il n’est pas revenu en France depuis les obsèques de papa, pour toucher à cette occasion sa première part d’héritage, pas loin de soixante mille euros qu’il a dilapidé en moins d’une année.
— Ça te fait marrer, hein, mais c’est pas toi qui te coltines les appels nocturnes, les visites, sa paperasse et son linge dégueulasse. Son cœur bat comme une horloge et elle a une tension de jeune fille, ça peut durer des années comme ça… Je rêve qu’elle meure parfois. Tu te rends compte ?
— Normal.
— Normal ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? Tu glandes au soleil en attendant le fric des vieux et tu trouves normal que je joue les esclaves ici ?
— Non, c’est pas ça…
Il se mouche à nouveau avant d’ajouter :
— Tu peux m’envoyer 500 balles ?
— Demande-les à maman.
— Fais pas ta pute, c’est pour venir la voir, pour t’aider.
C’est à mon tour de pouffer. Franck a bientôt 43 ans, dix ans de moins que moi. Cet écart explique l’aveuglement de mes parents à son égard et justifie à leurs yeux le fait qu’il n’ait jamais eu à m’aider en quoi que ce soit. Et je ne parle pas d’amour. Depuis sa naissance, notre haine réciproque s’est exprimée de bien des façons.
— Nathalie va bien ?
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?


***


J’ai rêvé d’opérations chirurgicales et de précipices, et l’on effectue des tirs de mine sous mon cuir chevelu. Mais j’éprouve une satisfaction que je n’avais pas ressentie depuis longtemps. Hier soir, j’ai descendu plus de la moitié d’une bouteille de Paddy et j’ai écrit plus de cinq pages dans la nuit. Et pas de déception au réveil : ce sont de bonnes pages. Nathalie a ri en les lisant puis m’a félicité. Si la suite est du même tonneau, j’ai toutes mes chances de gagner le concours du journal et le voyage à Rome. Elle adore le passage décrivant ma mère tentant de fuir en déambulateur sur le parking, se vautrant sur le bitume avant d’être rattrapée par un infirmier, et savoure à l’avance la scène du crime à l’oreiller, préconisant que ma victime agite les jambes avec l’énergie du désespoir. Exutoire et drôlement noir, voilà comment elle définit mon texte. Elle approuve l’augmentation du montant du mobile, même si les deux appartements de ma mère et son compte en banque bien garni en assurance vie constituent dans la réalité un héritage confortable. Elle s’étonne cependant que je ne fasse pas mention de mon frère. Il y avait d’après elle un personnage de plus à massacrer. Ce à quoi je réponds que je n’ai jamais eu de frère. Elle vient s’asseoir sur mes genoux et m’embrasse, langoureuse. Je songe avec un brin de mélancolie que mon sex-appeal tient peut-être à quelques lignes.
Sur les conseils de Nathalie, j’ai décidé de m’octroyer quatre jours « off ». Pas d’EHPAD. Téléphone éteint. J’imagine ma mère tour à tour fulminante ou effondrée, mais je me fais violence pour la bonne cause. Après le jaillissement créatif de cette fameuse nuit, j’avance lentement dans mon travail, mais avec le même sentiment de fierté recouvrée.
J’ai envoyé cinq billets de cent euros à mon frère, glissés dans Vipère au poing en livre de poche.
J’ai essayé de le joindre, sans succès. J’ai réessayé plusieurs fois aujourd’hui, mais ça sonne dans le vide. Il ne viendra pas.
Ma première mouture terminée et ma mère virtuellement assassinée en toute impunité, je monte dans ma voiture pour reprendre le chemin de l’hôpital en me reprochant d’avoir été assez naïf pour croire que Franck tiendrait cette fois ses promesses.


***


Ingrat, indigne, intéressé, tout y passe. Madame Baillet la reine mère est échevelée et nue sous sa robe de chambre. Les pans en sont largement ouverts et elle me laisse voir ses cuisses flasques et ses couches. Impudique bébé ridé.
Elle m’envoie les reproches en rafales, tout en allant et venant au ralenti, du fauteuil au lit, m’écorchant les nerfs.
Elle n’a plus une chemise de nuit à se mettre et c’est de ma faute.
J’en déniche trois dans son placard. C’est Nathalie qui les lui a achetées et il est hors de question qu’elle les porte.
Il règne une chaleur de serre. J’ai besoin d’air. Je fais coulisser un peu la fenêtre. Elle m’ordonne de fermer. Elle est frigorifiée ! Elle se campe face à moi, cramponnée à son déambulateur.
— S’il n’y avait pas ton frère, je serais déjà morte de solitude. Il est venu me voir, lui, cette nuit encore !
Je réunis tout ce qui reste d’amour filial en moi, alors que je n’ai qu’une envie : la jeter trois étages plus bas.
— Maman, tu sais bien que ce n’est pas la réalité, ce sont comme des rêves… Et personne ne peut entrer ici la nuit…
Elle penche la tête sur le côté et me plisse un sourire matois.
— Franck a toujours été plus malin que toi. Il est venu et il reviendra, parce qu’il adore sa mère, lui.
— D’accord, Franck reviendra, si tu veux.
Je me retiens d’ajouter qu’il reviendra quand elle bouffera les pissenlits par la racine. Elle est assez agitée comme ça sans que j’en rajoute une couche.
— Si tu ne lui avais pas volé Nathalie, il aurait su lui faire des enfants, lui.
Et elle me tourne le dos pour clopiner vers son fauteuil.
C’est comme si elle avait appuyé sur un bouton de mise à feu.
Je la saisis par l’épaule et la retourne violemment, à faire valdinguer son déambulateur. Dans ses yeux ronds, il n’y a aucune peur, plutôt une invitation amusée. Vas-y, frappe ta vieille mère malade. Je dois hurler alors, mais je ne m’entends plus. C’est une aide-soignante qui accourt pour mettre fin à ma transe. Et quand je lâche enfin ma mère, je me rends compte que je suis en larmes.
Une demi-heure après mon esclandre, je suis toujours dans le bureau du docteur Cormier. La jeune femme fluette s’adresse à moi sur le ton doux et monocorde que l’on emploie avec les malades mentaux. Je dois espacer mes visites. Il en va du rétablissement de ma mère et de ma propre santé. Je suis nerveusement exténué, et ces accès de violence ne sont pas de bon augure. Repos, changement d’air si possible, et prescription d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
Poignée de main. Courage, Monsieur Baillet. Couloir linoléum.


***


J’aurais pu la tuer. Pas par jalousie envers mon frère, que ma mère remercie de ses visites depuis des mois alors qu’il ne bouge pas le petit doigt. Pas en vue d’un héritage qui tomberait à pic. J’aurais pu la tuer d’épuisement nerveux et physique. J’aurais pu l’étrangler de fatigue et de chagrin. Un instant, j’en ai été capable. Et rétrospectivement je me fais peur et honte. Nathalie cherche à minimiser. Après tout, la vieille n’a pas été blessée, et il est probable que je sois plus éprouvé qu’elle par ce dérapage. Elle fait appel à mon sens de l’humour.
— Tu l’as tuée dans une nouvelle. À terme, cela te fera du bien, tu verras.
Elle préconise que nous allions au cinéma, pour me changer les idées. On ne change pas ces idées-là. On tente de les anesthésier. J’avale un Xanax et un somnifère.
Je m’endors avec la résolution d’ignorer pour demain les conseils du médecin et d’apporter des fleurs à ma mère pour tenter une réconciliation.


***


Il est sept heures et nous sommes encore au lit quand le docteur Cormier m’appelle sur mon portable.
Ma mère est décédée cette nuit.
Après de neutres condoléances, le médecin me prévient de démarches administratives un peu particulières qu’il me faudra mener dans les prochains jours. Sous le choc, je ne cherche pas à en savoir davantage et lui balbutie que j’arrive immédiatement.
Il est à peine sept heures trente et je finis de me préparer en pleurant quand deux lieutenants de police sonnent à notre porte. Monsieur Nicolas Baillet ? L’un a la trentaine, déjà chauve et l’air buté. L’autre est un peu plus vieux, sans plus de cheveux, et tout aussi avenant.
Ma mère a été étouffée pendant son sommeil avec son oreiller. On pourrait se passer de médecin légiste, l’arme du crime a été laissée en place sur son visage.
À part « ce n’est pas possible », je suis incapable de la moindre déclaration.
Sur le canapé, Nathalie n’est pas plus loquace, figée dans la posture qu’elle a adoptée en apprenant la nouvelle, yeux écarquillés et mains plaquées aux joues.
Les deux policiers ne manifestent aucune compassion. Ils furètent dans l’appartement sans en avoir demandé la permission et sans que nous ayons la force de nous en offusquer. On nous a débranchés.
Le plus jeune des flics exige l’ensemble des documents bancaires de ma mère.
Le plus vieux saisit mon ordinateur portable.
Alors que j’espère les voir disparaître, ils nous invitent à les suivre.
La conviction de ma mère tourne en boucle dans mon esprit, « Franck a toujours été plus malin que toi ».
Je ne gagnerai pas le concours du journal, mais toutes les conditions sont réunies pour que je fasse la première page.